PAYSAGES (galets/ "Couleurs d'orage" de Ye Xing-Qian)
Publié le 19 Août 2015
" Couleurs d'orage", encre de chine de Ye Xing-Qian. Site de l'artiste: http://yexingqian.com/ photos de Régis Roux prises dans l'un des affluents de la Galaure.
L'espace n'est jamais prévisible. La beauté qu'il masque un jour, pourtant, s'éclaire. Il suffit d'être seul, de voir autrement, de prendre le temps, aussi, de revenir ici ou là, d'aller juste un peu plus loin, de ne pas croire qu'à l'horizon recherché initialement. Voici quelques jours, je me suis aventuré dans un affluent à peine visible depuis la route. Le pont lui-même ne s'était pas annoncé. J'étais parti pour photographier des façades, pas pour suivre ce chemin sauvage de galets. Une fois de plus le paysage partirait du sol. Cependant, j'avais tourné mon regard vers le ciel puisque j'étais en train d'écrire un poème inspiré d'une encre de Ye Xing-Qian, " Couleurs d'orage". Mais quand je découvris ces galets aux formes et aux couleurs particulières, l'abstraction picturale se superposa à la toile minérale. La parole apparue au bout des doigts résonnait après l'eau sur ces vagues pétrifiées, ces montagnes en miniature. Les crevasses à peine débutées se perdaient dans un vide ne représentant rien que le calme, l'attente impossible au bout de la matière. Car quoi de plus évident que le cristal travaillé par l'érosion ou l'encre choisie dans sa nuit ? L'imagination, le regard ébloui -celui qui ose ouvrir un univers endormi à côté du corps- reconnaît bien sa fête. Alors, pour l'accompagner, la présence en un lieu, la photographie, la peinture et le poème composent face à l'évidence un royaume, un système comme attendu par la nature et la sensibilité. L'homme a bien sa place entre le monde et la couleur de son âme. J'ai repensé à la fin de la nouvelle de Marguerite Yourcenar, Comment Wang-Fô fut sauvé, où l'artiste s'échappe réellement dans la dernière toile qu'il est en train de peindre. " L'Empereur, penché en avant, la main sur les yeux, regardait s'éloigner la barque de Wang qui n'était déjà plus qu'une tache imperceptible dans la pâleur du crépuscule. Une buée d'or s'éleva et se déploya sur la mer. Enfin, la barque vira autour d'un rocher qui fermait l'entrée du large; l'ombre d'une falaise tomba sur elle, le sillage s'effaça de la surface déserte, et le peintre Wang-Fô et son disciple Ling disparurent à jamais sur cette mer de jade bleu que Wang-Fô venait d'inventer." (Nouvelles orientales, p.27, ed Gallimard, 1978.)
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" COULEURS D'ORAGE" ( d(après une encre de Ye Xing-Kian)
1
Des éclairs défont le ciel blanc et bleu
Etirant ce que tout miroir traverse
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Echos dans une encre fine
Sans paysage prisonnier à reconnaître
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Quel pinceau laisse en rythme
Son coeur signer le vertige ?
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Le temps n'approfondit pas ce voyage
Brûlant même quand la mer cache un royaume
Quand les points de l'horizon confondent silhouettes
Fruits montés de la terre et sources voilées
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Il défie la frontière infinie dans l'homme
Un fond déjà plus loin que la lumière
2
Une fleur avec son ombre aime le centre
Comme si la transparence commençait plus haut
Dégradant des puits clairs
Plus bas dans un élan vers quelque fonte
Image qui passe
Installe silence
Et courants pour cette sève
La rive absente à force de légèreté
3
Choisir le parfum
Accentue la toile
Aux pigments de nuit
Secrets dans le poing
Délivrant sa carte
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Ecrire déchire
Les contours glacés
Puisqu'un caractère
Inonde la mort
Privée d'origines
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Car aucun message
Ne trahit la terre ouverte
Aucun espace emporté
Qui ne reforme un coeur
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(Régis Roux; août 2015; Drôme des collines.)